vendredi 28 août 2015

Aime, et fais ce que tu veux

Augustin et sa mère Monique
Benozzo Gozzoli (1420-1497)


            Une des paroles les plus célèbres d’Augustin, mais aussi une des plus mal comprises. Rien à voir pourtant avec une quelconque facilité…

Voici que le Père a livré le Christ et que Judas l’a livré. Leur conduite n’apparaît-elle pas comme assez semblable? Judas est un traître, le Père est-il donc aussi un traître? «C’est impensable!», dis-tu […] Le Père a livré le Fils; le Fils s’est livré; Judas l’a livré. Voilà une seule et même action, mais qu’est-ce qui nous permet de [les] distinguer? […] C’est que le Père et le Fils ont agi par amour; mais Judas, lui, a agi par trahison. Vous voyez qu’il ne faut pas considérer ce que fait un homme, mais l’esprit, l’intention dans lesquels il agit […] Telle est la force de la charité! Voyez qu’elle seule peut faire la distinction; voyez qu’elle seule différencie les actions humaines entre elles […].

Nous avons parlé d’actions semblables? Pour des actions différentes, nous découvrons qu’un homme est amené à sévir par charité et à caresser par malice. Le père frappe son enfant et le trafiquant d’esclaves caresse son esclave. Si on propose les deux choses, les coups et les caresses, qui ne choisirait celles-ci et ne fuirait ceux-là? Si tu considères le rôle que joue chacune, la charité frappe et l’iniquité caresse.

Voyez un point sur lequel nous attirons votre attention: les actions humaines ne se distinguent les unes des autres qu’en les rapportant à la racine de la charité. Car on peut accomplir beaucoup d’actions qui ont bonne apparence, tout en ne provenant pas de la racine de la charité. Car les épines ont des fleurs elles aussi. Certaines choses paraissent dures, pénibles, mais on les accomplit pour corriger, inspiré par la charité.

Ainsi voilà une fois pour toutes le court précepte qu’on te dicte: «Aime et fais ce que tu veux!» [dilige et quod vis fac!] Si tu te tais, tu te tais par amour; si tu cries, tu cries par amour; si tu corriges, tu corriges par amour; si tu épargnes, tu épargnes par amour. Qu’au dedans se trouve la racine de la charité. De cette racine rien ne peut sortir que de bon.

Homélies sur la première épître de saint Jean VII, 7-8 (BA 76, p. 303-305)

Bonne fête de saint Augustin !


vendredi 14 août 2015

Bonne fête de l’Assomption


Vierge à l'Enfant de la Sainte-Chapelle (13e siècle) Musée du Louvre, Paris














A tous les « petits » que Marie, reçoit dans le Royaume, ce poème de Charles Péguy

Notre-Dame des petits

Lorsque les petits enfants meurent,
– Et la mort choisit les plus beaux ! –
Tandis que les mères demeurent
A les pleurer près des berceaux,
Eux, laissant au fond de leurs bières
Les langes à leurs bras raidis,
Quittent la nuit des cimetières
Et s’en vont droit au paradis
Et vers la cité souveraine,
Tout nus, et frissonnants, un peu,
Ils avancent, posant à peine
Leurs pieds roses sur le ciel bleu.
Ce que voyant, la Vierge Mère
A leur dénuement compatit,
Songeant aux douleurs de la terre
Lorsque Jésus était petit.

Et, tout de suite à sa quenouille,
Mettant un cocon de satin,
Elle dévide un fil que mouille
L’haleine humide du matin
Puis, le soir venu, Notre-Dame
Prenant les cieux pour marchepied,
Pour la tisser étend sa trame,
Pour la tisser, elle s’assied,
Et comme une blonde navette,
On entrevoit sans se lasser,
Entre la brume violette,
Passer la lune et repasser.
Et, dans l’étoffe des buées,
Près d’elle, de beaux chérubins
Taillent des robes de nuées
Dont ils revêtent les bambins.
Bientôt sous leurs fines toilettes,
Les enfants vont, drus et joyeux,
Dans les lis et les violettes
Jouer par les grands prés des cieux.
Et, les voyant, la Vierge Mère
A leurs beaux rires applaudit,
Songeant aux bonheurs de la terre
Lorsque Jésus était petit

Charles Péguy (1873-1914)



samedi 1 août 2015

La sagesse des Anciens

Saint Antoine du Désert et saint Paul de Thèbes
Mathias Grünewald, retable d'Issenheim
En ce temps de vacances, où - pour beaucoup d'entre nous - les exigences de la vie quotidienne sont moins fortes, laissons-nous enseigner par la sagesse des Anciens. Ils nous rappellent notamment que tous nos efforts sont vains s'ils ne sont pas fondés sur la grâce de Dieu. Voici donc deux apophtegmes (paroles de sagesse) des Pères du Désert. On en appréciera la simplicité et l'humour discret.

Il y avait un ancien qui mangeait chaque jour trois biscuits. Survint un frère et, quand ils s'assirent pour manger il lui servit trois biscuits; comme il n'en avait pas assez, il lui en donna trois autres. Lorsqu'ils furent rassasiés et se levèrent, l'ancien condamna le frère et lui dit: "Il ne faut pas céder à la chair". Le frère fit une métanie [inclination profonde] à l'ancien et s'en alla. Le lendemain, quand arriva le moment du repas, l'ancien se servit les trois biscuits selon sa coutume, il les mangea, puis il eut encore faim et résista à son appétit. Il en fut de même le jour suivant. Il commença alors à faiblir et il connut qu'il était abandonné de Dieu. Il se prosterna avec larmes devant Dieu et l'interrogea au sujet de l'abandon dans lequel il se trouvait; il vit un ange qui lui dit: "Cela t'est arrivé parce que tu as condamné le frère. Reconnais donc que celui qui peut résister ou faire quelque bien ne le fait pas de sa propre force, mais que c'est la bonté divine qui fortifie l'homme.

Les anciens disaient: "Si tu vois un jeune homme qui s'élève vers le ciel par sa propre volonté, saisis-le par le pied et fais-le redescendre, car c'est cela qui lui est utile."